Dans la forêt, un roman dont tout le monde parlait. En général, j’aime beaucoup les publications des éditions Gallmeister et il fallait que je m’y plonge ! J’en ressors réellement déstabilisée.
L’histoire se déroule en Californie du Nord dans un passé pas si lointain. Nell et Eva sont sœurs. Elles vivent depuis toujours dans une maison fort reculée, plantée dans une clairière de forêt située sous les sequoias, à plusieurs dizaines de kilomètres du voisin le plus proche. Les filles sont élevées et scolarisées à domicile par des parents alternatifs et aimants. Alors qu’Eva est emparée par une passion extrême pour la danse – elle danse, danse et danse sans cesse, de manière effrénée –, Nell, elle, est l’intello du duo, dévoreuse de livres, boulimique de savoir. Leur enfance est plutôt confortable. Elles grandissent heureuses et deviennent des adolescentes affirmées, malgré leur isolement. Eva projette d’entrer au San Francisco Opera tandis que Nell se prépare à intégrer Harvard.
Soudain, ce tableau harmonieux se brouille. Les coupures d’électricité deviennent légion tandis que les rayons des magasins du bourg se vident. Les nouvelles des métropoles du pays sont effarantes : la révolte gronde, la faim tiraille… l’inébranlable et colossale civilisation américaine s’effondre !
Bien au fond de leur bois, les filles, âgées de 17 et 18 ans, ne se sentent d’abord que peu concernées et sont épargnées des tourments. Pourtant, lorsque leurs parents disparaissent, elles demeurent seules et doivent survivre.
L’espoir – pourtant motivant – d’être secourues et de retourner à la vie d’avant finit par s’estomper. Il va falloir vivre autrement, apprendre à se nourrir, à s’abriter, à s’organiser ensemble, à se défendre, à collaborer avec cette forêt à la fois mère nourricière et lieu de tous les dangers.
Jean Hegland – une écrivaine incontestablement visionnaire – a fait paraître Dans la forêt au États-Unis en 1996 ! Elle y a pris le contre-pied de la tradition du nature writing américain : au lieu d’opposer un héros masculin à une nature implacable qui pourtant, dans la majorité des cas, cède, les héroïnes sont ici des jeunes femmes, elles sont crédibles par leur force, attachantes par leurs doutes, profondes dans leurs ressentis. Leur vulnérabilité reste à taille humaine et la résilience dont elles font montre m’a soulevée.
Dans le genre de la contre-utopie, vous aurez compris que le roman dénonce la culture de consommation contemporaine qui nous mène à notre propre perte. Cela dit, c’est subtilement que Jean Hegland interroge notre rapport au monde et notre place au sein de la nature, qui engendre et dépasse notre condition. Et de surcroît, ce texte porte une réflexion poussée sur la condition féminine au sein de cette culture consumériste.
Enfin, et c’est là ce qui m’a le plus fascinée, Dans la forêt décrypte précisément la relation de sororité avec tout ce qu’elle contient d’amour et de jalousie, d’admiration et de mépris, de solidarité et de déchirement.
Un texte profondément humain, donc.
P.S. : J’ai eu l’immense chance de rencontrer Jean Hegland à la librairie Papyrus de Namur !
© Gallmeister, 2017 – © Totem 2018