Voici un roman bref, sobre et fort, au style si particulier et à la sensibilité tellement profonde que le moment fugace de sa lecture résonne encore et encore.
Nous sommes en pleine campagne flamande, dans une vaste et calme demeure bordée d’un immense jardin et d’un étang. Aux portes de l’adolescence, une jeune fille vit chez ses grands-parents depuis ses deux ans. « Enfant naturelle », elle a été laissée là par sa mère, qui ne revient pas. La grand-mère est aimante, quoique silencieuse, pudique et distante. Le grand-père, figure drue et autoritaire, quant à lui, se meurt à petit feu au fond de son lit. Cet été-là, les journées de l’enfant solitaire s’écoulent doucement dans le grand jardin, son corps immergé dans l’étang, ses mains enfouies dans la terre du potager, le fond de ses narines inondé de l’odeur de la vase et son esprit navigant sur les flots des premiers émois, des petits bonheurs, des grands tourments et de l’infinité qu’offre l’imagination propre à cet âge de la vie. Puis, les jours sont aussi ponctués par l’intimidante visite au patriarche mourant.
L’eau, la vie, la mort… Autant de thématiques omniprésentes dans cet instantané singulier où la nature est souveraine. Entre le rêve et la réalité, le lecteur tangue. L’écriture est magnétisante, les ressentis intenses, alors même que somme toute, le quotidien se déroule dans une routine taciturne. En fait, à l’instar de la fille, l’eau de l’étang semble calme mais pourtant renferme en elle une puissante force de vie et de mort.
Avec Debout dans l’eau, l’écrivaine belge, primo-romancière, Zoé Derleyne fait entendre une voix littéraire extrêmement singulière à découvrir, vraiment, et à suivre, sans aucun doute.
© Le Rouergue, mai 2021.
Disponible chez Point Virgule à Namur :
https://comptoir.librairiepointvirgule.be/livre/9782812621963-debout-dans-l-eau-zoe-derleyn/
Extrait choisi:
Debout, de l’eau jusqu’à la taille, je suis capable de rester immobile dans l’étang très longtemps. Mes pieds disparaissent peu à peu dans la vase. À travers le reflet de mon maillot rouge, j’aperçois mes jambes, tronquées aux chevilles. Je laisse les poissons s’approcher de moi jusqu’à ce qu’ils m’embrassent les mollets, les genoux, les cuisses. Je ne bouge pas, j’oscille légèrement, je respire au rythme de l’eau, je fais partie de l’étang.
J’entends ma grand-mère qui m’appelle mais je ne réponds pas, ça gâcherait tout.
Au moment où les poissons s’imaginent que je suis un vieux tronc d’arbre, une branche, j’en attrape un : les doigts serrés sur les écailles visqueuses, je le sors de l’eau et je le brandis comme un trophée, juste le temps de savourer mon exploit, je le relâche avant qu’il n’ait vraiment compris ce qui lui arrivait.
En face de moi, la berge est vide, personne pour applaudir ma main triomphante fermée sur le poisson. Personne pour me voir extirper mes pieds de la vase, nager lentement dans l’eau tiède, dans le plaisir du mouvement retrouvé.