Je ne l’ignorais pas, Jean-Baptiste Del Amo est un écrivain remarquable. Si l’on sent chez lui le goût des belles lettres, la connaissance des textes maîtres, l’amour du style, c’est pour s’en délecter totalement. Le jeune auteur parvient à incarner son propos, il possède une capacité rare de créer l’impression, – plus que cela – le ressenti.
Une éducation libertine est son premier roman, dans lequel je me suis plongée avec une curiosité exaltée. L’auteur a 26 ans quand il l’écrit et, s’il est vrai que quelques défauts de redondances stylistiques ou de déséquilibres narratifs fusent parfois, son ambition littéraire a le mérite d’être solide et le lecteur y détecte le brillant écrivain en herbe.
Le titre ne ment pas. L’intrigue, plantée dans la seconde moitié du 18e siècle, respecte la pure tradition du roman d’initiation. Le jeune Gaspard quitte Quimper, la misérable masure familiale adossée à la porcherie, ainsi que son quotidien abject et frugal. Il débarque à Paris avec une ambition : quitter la fange, pénétrer le beau monde, parvenir. Mais en ce Siècle des Lumières, en dehors des quelques salons qui demeurent l’image figée que l’on peut avoir de cette époque, c’est bien sur la crasse pestilentielle que Paris est bâtie et les gens du peuple y grouillent dans une misère obscure telle que restera leur lendemain.
Le Comte de V. croise le chemin de Gaspard. Homme furtif et impalpable, il est « sans vertu, sans conscience. Un libertin, un impie. Il se moque de tout, n’a que faire des conventions, rit de la morale. » V. devine les désirs d’ascension du jeunot, et c’est ainsi qu’il l’encercle, se l’accapare et le soumet à la souffrance de devenir à son image.
Gaspard passera au travers des rives breneuses du Fleuve fantomatique, il errera dans les pires bordels des bas-fonds de la capitale pour finalement accéder aux raffinés boudoirs dont, par la maîtrise des jeux de séduction et l’art de la manipulation, il s’érigera finalement en maître.
L’écriture est charnelle, incarnée, carnée même ! Elle bouscule les sens, parfois jusqu’à la nausée la plus réprimable. J’ai à la fois été magnétisée et dégoûtée par ce roman aux effets tangibles qui restera marqué dans ma mémoire de lectrice !
© Folio, Gallimard, 2010.
Paris, nombril crasseux et puant de France. Le soleil, suspendu au ciel comme un œil de cyclope, jetait sur la ville une chaleur incorruptible, une sécheresse suffocante. Cette fièvre fondait sur Paris, cire épaisse, brûlante, transformait les taudis des soupentes en enfers, coulait dans l’étroitesse des ruelles, saturait de son suc chaque veine et chaque artère, asséchait les fontaines, stagnait dans l’air tremblotant des cours nauséabondes, la désertion des places.
Dans cette géhenne, la chaleur de l’été collait aux visages comme un masque, drapait les corps de feu, tuait les bêtes qui tentaient de survivre en quelque coin d’ombre, suffoquait les femmes aux poitrines poisseuses. Les glandes sudorales déversaient par flots leurs humeurs. Jaillies d’aisselles velues, elles s’écoulaient des flancs aux fesses puis sur les jambes.