1991, 26 ans avant la campagne #MeToo. Helen Zahavi choisit un thème peu banal pour son temps, en concocte un texte bref et efficace, et envoie sur les tables des libraires britanniques un roman un tantinet brutal : Dirty week-end.
Elle y balance les porcs. Puis elle les saigne à blanc.
Démarche peu aisée, on l’imagine, dans cette Angleterre conservatrice de l’époque – mais c’était hier ! – et effectivement, Dirty week-end fait illico l’objet d’une demande d’interdiction au Parlement de Londres pour immoralisme, sort qu’aucun autre texte n’a subi depuis lors.
C’est l’histoire de Bella, une nana comme tant d’autres. De la fenêtre de son minuscule studio en sous-sol qu’elle occupe seule, elle aperçoit la grisaille des habitations voisines et juste un bout de ciel qui, à la meilleure heure du jour, réchauffe petitement son atmosphère. Bella est discrète, elle a appris à se faire toute petite, elle ne demande rien à personne. Elle refuse juste de souffrir.
Un beau jour, Bella remarque qu’elle se fait mater. Par la fenêtre, son voisin d’en face la scrute, tous les jours et à tout moment… Donc, « un beau jour, Bella en eut marre, marre de toujours être la victime, marre de toujours avoir peur, marre des désirs des mecs… Elle se mit à les tuer… »
Impassible serial killeuse de harceleurs sexuels, elle incarne alors une espèce de justicière libérée de ses entraves. « Bella le chien enragé s’est débarrassé de sa laisse » et elle se transforme en vengeresse de chacune d’entre nous ! La lecture s’emballe. Des portraits de mâles prédateurs sont brossés avec une parfaite causticité, pour ensuite être dézingués, écrabouillés. Le personnage de Bella, à la fois tout-puissant et sans grande substance, est un archétype. Les traits sont volontairement grossis, le registre flirte avec le burlesque et de ce fait, le côté trash qui risque de choquer les lecteurs à l’esprit pur non averti, est en vérité d’une maîtrise au cordeau.
Le narrateur, au fil du récit, commente çà et là les scènes qu’il déploie, l’attitude de son héroïne, et puis il apostrophe le lecteur : « La prochaine fois que vous assistez à cette scène, pensez à Bella ». Le ton est si distancié que c’en est tantôt drôle, tantôt malaisant… En réalité, le style est juste so british, inscrivant indubitablement Dirty week-end dans la vaine des nineties britanniques qui engendreront quelque temps plus tard un certain Trainspotting.
Je sors assez lessivée de cette lecture et, en somme, je trouve que les Éditions Libretto ont une bien lumineuse idée de rééditer, en ce janvier glacé, ce roman de première nécessité à l’usage des affranchi(e)s !
© Libretto, rééd. 2019.
Elle voulait juste qu’on la laisse en paix; apparemment, ce n’était pas trop demander. Elle attendait peu, recevait encore moins, et remerciait Dieu de ce qu’Il lui accordait.
Elle s’était fait une place minuscule, et pas question de le lui reprocher. Elle s’était creusé un espace, dans un appartement en sous-sol, dans une rue qui descendait vers la mer. En été, elle s’étouffait de chaleur; en hiver, elle frissonnait: elle passait ses soirées à chercher l’humidité, c’était une vie morne et grise, une forme de vie mutante, une vie avortée. Mais c’était la sienne, et elle l’acceptait ainsi.
Rien n’aurait changé, personne n’aurait jamais connu son nom, sans cet homme qui l’observait. Un homme ordinaire qui l’observait depuis sa fenêtre. Un homme qui l’observait et la désirait, là, debout derrière sa fenêtre. Il la voyait dans son sous-sol, et il fallait qu’il essaie. Il n’avait pas assez de bon sens pour la laisser en paix.
Il la voyait comme un récipient vide que lui seul pouvait remplir. Il s’imaginait la tirant pas les cheveux pour lui faire traverser la rue. Il s’imaginait plaquant sa main sur sa bouche pour la plier à tous ses désirs. Malheureusement pour lui, il imaginait trop de choses. Un petit esprit avec de grandes idées.
Car Bella ne pouvait pas plier.
Comme il le découvrit, comme elle le découvrit, Bella ne pouvait que rompre.