Nivelles, calme et cossue bourgade provinciale au sud de Bruxelles. Come back au cœur des années 1990. C’est l’histoire de deux adolescentes liées par une amitié passionnelle, exclusive, codifiée et toxique.
Quand la narratrice, 13 ans, croise pour la première fois le regard d’Ariane, une beauté indienne adoptée par une famille riche du Brabant wallon, son univers bascule. En effet, elle-même est issue d’une famille de « prolos » hyper catho qui, désireuse de voir leur rejetonne s’élever socialement, l’inscrivent dans une « école de riches », « de blonds » dont elle ne partage ni les codes, ni les loisirs, ni les fringues hors de prix. D’un coup, la fillette inepte et moquée, dont le physique ingrat n’intensifie que l’abyssal ennui, va se voir projetée. Élevée au rang de meilleure amie par Ariane, elle se laisse alors entraîner dans un univers grisant, propre à l’adolescence, bravant les multiples interdits fixés par son étriqué milieu. Les deux gamines « populaires » de la classe tourmentent les autres, narguent le monde entier, jouent les Lolitas auprès des garçons et des hommes, s’excitent du goût des risques insensés qu’elles prennent inlassablement. Jusqu’au jour où, comme dans toutes les passions brûlantes, la flamme s’éteint brusquement, faisant voler en éclats l’univers de notre protagoniste. S’instaure alors le harcèlement psychologique subtilement exercé par l’idole qu’on croyait amie à la vie à la mort, et dont le spectre ronge le moindre instant du quotidien.
Ce roman, aux allures de chronique sociale de nineties fluo et provinciales, évolue peu à peu du récit initiatique au véritable thriller psychologique ! C’est fort rondement mené car, si dès le début j’ai retrouvé avec une nostalgie émerveillée tous les codes et repères du temps de mon adolescence – j’avais aussi 13 ans en ’97, je rêvais de porter des Cimarrons et customisais mes jeans cheap, et il y avait forcément une Ariane, superbe et fantasmagorique, dans mon année au collège –, le malaise s’est bâti au fil des pages, la sympathique identification aux personnages a peu à peu tourné au trouble, au glauque, jusqu’à l’angoisse profonde.
Myriam Leroy déploie son texte à la première personne, laissant planer le doute d’une autofiction. Son écriture est fluide, on y plonge aisément ; elle est rythmée, on la dévore sans s’interrompre. Le sens de la formule et le style vif, acéré et un brin narquois qu’on connaît à Myriam Leroy, donnent du mordant à la narration. Voici une lecture tant plaisante qu’efficace, dont je suis sortie enthousiaste et bluffée. Top !
© Don Quichotte, 2018; © Points, 2019.
Dans la résidence des Cuvelier, il y avait deux salles de bains: celle des parents, celle des enfants (Ariane avait un frère de quatre ans son aîné, invisible, ainsi qu’une salle plus petite dédiée à la douche). Si je cherchais encore un marqueur de luxe qui me renvoyât à mon indigence, je l’avais trouvé: à la maison, nous n’avions qu’une seule salle d’eau et, pour être honnête, j’y allais peu.
Déjà parce qu’il s’agissait d’un réduit vétuste en soupente dans lequel on croisait régulièrement des souris, ensuite parce qu’on n’était pas très regardants sur la propreté dans la famille.
Là, je débarquais dans un monde de douches, douches partout, douches tout le temps, où chacun était prié de s’ablutionner une fois par jour, deux quand il faisait chaud ou qu’on avait tâté de la baballe. Autant qu’on le voulait si on le voulait. Chez nous, on analysait scrupuleusement les factures d’eau et on rationnait quand elles s’envolaient, question de principe.
Adulte, je serais percluse de tocs d’hygiène, je me brosserais les dents avant de passer un coup de fil par crainte de respirer ma propre haleine ricochant contre le combiné, mais, à douze ans, j’étais une souillon qui changeait de culotte quand elle commençait à se rigidifier.