Le Grand Monde • Pierre Lemaitre

Le Grand Monde de Pierre Lemaitre, l’écrivain lauréat du Goncourt 2013 avec le tout bon Au revoir là-haut, inaugure de manière palpitante une nouvelle trilogie se déroulant à l’époque des Trente Glorieuses.

1948 à Beyrouth. La famille Pelletier, on ne peut plus française et implantée au Liban, jouit d’une excellente situation grâce au succès commercial international de la fabrique de savons créée par M. Pelletier père, Louis de son prénom, et son épouse Angèle, dans l’Entre-Deux-Guerres. Beyrouth, Saïgon, Paris : leurs quatre enfants, aux tempéraments fort disparates, empruntent des chemins variés, que le lecteur suivra de manière insatiable jusqu’à la dernière page du roman.

Avec cette saga familiale aux allures de roman-feuilleton d’excellente facture, Pierre Lemaitre reste fidèle à ce qu’on aime vraiment chez lui. Par le biais de la destinée de ses personnages et grâce à un extraordinaire sens du réel, il compose avec brio le portrait vivant d’une époque : celle des lendemains rudes de la Deuxième Guerre dans un Paris marqué par les restrictions et les révoltes ouvrières ; celle de l’Indochine française, en proie à une domination coloniale des plus obscènes, au juteux capitalisme de guerre, à une corruption d’état plutôt visqueuse, et à l’enlisement dans une lutte indomptable et cruelle contre le Viêt Minh.

L’écriture de Pierre Lemaitre est déliée, le style indirect libre employé donne littéralement corps aux personnages, l’intrigue est rythmée voire rocambolesque, la lecture est vivante. Et, comme toujours chez Lemaitre, un angle de vue engagé, acéré et non sans humour vient subtilement relever la recette gagnante !

© Calmann-Lévy, janvier 2022.

Disponible chez Point Virgule à Namur.

Extrait choisi:

Au fil des années, la procession familiale qui empruntait l’avenue des Français avait connu bien des variantes, mais jamais encore elle n’avait pris l’allure d’un cortège funèbre. Au détail près qu’elle était bien vivante, il semblait, cette année, qu’on emmenait Mme Pelletier à sa dernière demeure. Son mari, lui, comme à son habitude, marchait en têt d’un pas d’autant plus solennel que son épouse se traînait loin derrière et ne cessait de s’arrêter pour adresser à son fils Étienne le regard d’une agonisante qui supplie qu’on l’achève. Derrière eux, Jean dit Bouboule, en digne aîné, avançait d’un pas raide, sa petite épouse Geneviève trottinant à son bras. François fermait la marche en compagnie d’Hélène.

À l’avant du cortège, M. Pelletier saluait en souriant les marchands ambulants de pastèques et de concombres, adressait un signe de la main aux cireurs de chaussures, on aurait juré un homme marchant vers son couronnement, ce qui n’était pas loin de la réalité.

Le « pèlerinage Pelletier » se déroulait le premier dimanche de mars, quel que soit le temps. Les enfants l’avaient toujours connu. On pouvait échapper au mariage d’un voisin, au réveillon du jour de l’an, à l’agneau pascal, il était impensable de manquer l’anniversaire de la savonnerie. Cette année, M. Pelletier avait même payé les billets d’avion aller-retour depuis Paris pour être certain de la présence de François, de Jean et de son épouse.